Planification de l’immigration : concilier les nouvelles cibles avec les réalités du terrain
15 décembre 2025
Simon Savard
Les gouvernements du Québec et du Canada ont récemment réaffirmé leur intention de freiner la croissance démographique liée à l'immigration. Ces orientations s'inscrivent dans la continuité des décisions prises depuis l’an dernier. Le Québec a présenté son plan d'immigration pour 2026, qui fixe à 45 000 le nombre de résidents permanents admis. Ce seuil marque une baisse par rapport aux années précédentes. De son côté, le gouvernement fédéral vise une réduction importante du nombre de résidents temporaires au pays, tout en maintenant stable le niveau d'admissions permanentes à l'échelle canadienne.
Ces décisions ont notamment pour objectif de réduire la pression sur les services publics et le logement, mais surtout de restaurer la confiance de la population envers la capacité des gouvernements à gérer l'immigration. Toutefois, pour y arriver, le nombre de résidents temporaires devra baisser de plus de 180 000 personnes d’ici quatre ans au Québec.
La transition vers une immigration temporaire plus stable et prévisible pose un défi économique important à court terme : comment réduire l’immigration tout en répondant aux besoins des régions et en limitant les impacts pour les entreprises ?
L’effet d’entonnoir du seuil de 45 000 : une explication
Le seuil de 45 000 admissions permanentes, loin d’être un simple chiffre administratif, entraîne des conséquences directes qui créent ce que nous appelons un goulot d’étranglement. Pour bien le comprendre, il faut visualiser un entonnoir. Au sommet, dans la partie large, se trouve une population de plusieurs centaines de milliers de résidents temporaires déjà au Québec et qui, pour une grande partie, souhaite et est qualifiée pour y rester. À la base, la sortie étroite de l’entonnoir représente les 45 000 places disponibles pour la résidence permanente en 2026.
Qui se trouve dans cet entonnoir? Plusieurs groupes distincts :
• Les demandeurs d’asile : Le Québec en compte actuellement plus de 188 000. En 2024, seules 16 % des demandes traitées ont été rejetées. La grande majorité des demandeurs obtient donc le statut de réfugié, la première étape avant la résidence permanente. Or, avec des cibles annuelles de quelques milliers de personnes pour cette catégorie, il faudrait des décennies pour seulement régulariser la situation des personnes déjà présentes au Québec.
• Les diplômés de nos établissements d’enseignement supérieur : Au 31 décembre 2024, on dénombrait plus de 40 000 détenteurs d’un permis de travail post-diplôme. Une part importante de ces diplômés répond aux critères de l’immigration économique qualifiée, principalement les diplômés postsecondaires de programmes francophones.
• Les travailleurs étrangers temporaires : Ils étaient plus de 72 000 au 31 décembre 2024, occupant des postes essentiels, dont 81% sont à l’extérieur de l’île de Montréal. Cependant, les entreprises ne pourront ni renouveler tous les permis actuels ni remplacer tous ces travailleurs lorsqu'ils partiront.
Le problème s’accentue lorsqu’on réalise que le seuil de 45 000 places n’est pas exclusivement réservé à ces personnes. Ces candidats déjà au Québec entrent en concurrence directe avec les milliers de personnes qui postulent depuis l’étranger.
Certes, dans sa planification pluriannuelle 2026-2029, le gouvernement du Québec a établi que, dès 2027, 65% des résidents permanents admis proviendront de l’immigration temporaire (en hausse par rapport à 54 % en 2026).
Néanmoins, la pression sur le nombre limité de places demeure importante. Concrètement, cela signifie que des candidats qualifiés, déjà intégrés sur notre marché du travail, pourraient devoir quitter, faute de pouvoir renouveler leur permis, attendre des années dans l’incertitude ou, pour les plus mobiles, quitter le Québec faute de prévisibilité.
Dans notre avis déposé lors de la consultation automnale sur l’immigration du gouvernement du Québec, nous mettions l’accent sur la nécessité de réussir cette transition, non seulement pour réduire durablement le nombre de résidents temporaires, mais aussi pour conserver les précieux acquis des dernières années. C’est pourquoi nous recommandions une hausse ciblée du seuil d’immigration permanente, en priorisant les immigrants hautement qualifiés et les étudiants internationaux diplômés dans des secteurs associés à des pénuries tenaces de main-d’œuvre.
Et maintenant, quoi envisager pour l’avenir ?
Les régions du Québec font face à un double défi : un vieillissement marqué de la population et un bassin de main-d’œuvre locale restreint. Si l'immigration est incontournable pour assurer leur vitalité, le modèle actuel doit évoluer.
Il faut se garder d'une dépendance excessive à une main-d’œuvre temporaire peu qualifiée. Comme le montre la littérature économique, cette approche risque de freiner l'innovation et les gains de productivité nécessaires à notre prospérité, en plus d'offrir peu de perspectives d'enracinement à long terme.
La véritable solution pour les régions réside dans la rétention des talents. Bien sûr, le Québec doit prioriser l'accès à la résidence permanente pour les travailleurs qualifiés et les diplômés qui occupent déjà des emplois à haute valeur ajoutée sur le territoire, ce qu’il fait déjà en bonne partie. Néanmoins, à l'heure actuelle, seulement 14% des immigrants économiques au Québec résident en dehors des régions métropolitaines de Montréal et de Québec. Réussir à en retenir davantage dans les régions constitue une condition essentielle pour transformer ce défi démographique en levier de productivité.