Page chargée

Section thématique

L’impact et l’intégration des travailleurs étrangers temporaires au Québec

Chedly Belkhodja

L’immigration des travailleurs temporaires est devenue un enjeu crucial pour le développement économique de l’ensemble des régions du Québec. Ce qui a pu surprendre, c’est que, sous le gouvernement de François Legault, le Québec a adopté une approche visant à limiter le nombre d’immigrants dans la province, soit à 50 000 résidents permanents. Dans son discours, le gouvernement provincial rappelle que l’immigration ne doit pas venir déséquilibrer certains fondements de la réalité québécoise, notamment la préservation de la langue française et la place du Québec au Canada. Cette affirmation n’a pas empêché que, sous le radar, une autre trame narrative s’est dessinée par rapport à l’immigration. Dans un contexte de pénurie en emploi et d’une forte demande du secteur économique à recruter des travailleurs et travailleuses, on a pu noter une augmentation considérable de l’immigration temporaire. Les chiffres ne trompent pas. Selon les données de Statistiques Canada, le nombre de migrants temporaires au Québec a bondi, passant de 360 936 à 528 034, soit une hausse de 46% en une année. De ce chiffre, environ 225 000 sont des travailleurs temporaires (La Presse).

Une autre caractéristique de cette migration est la diversification des permis, des statuts et des provenances. La migration économique temporaire ne se réduit pas à une seule catégorie, souvent limitée au monde agricole et saisonnier. Ce sont plutôt des profils diversifiés qui demandent des accompagnements spécifiques.


Vers une acceptation sociale du besoin de l’immigration

Dans le cadre de la Consultation générale et des auditions publiques sur le cahier de consultation intitulé « La planification de l'immigration au Québec pour la période 2024-2027 », même si l’immigration temporaire ne faisait pas partie de la discussion sur les seuils d’immigration, la plupart des 78 mémoires et des personnes qui sont intervenues ont abordé la question de l’immigration temporaire. Cette préoccupation ne s’est pas limitée à une région. Dans la situation économique actuelle, il est difficile de ne pas aborder cette question et cela s’est fait de différents points de vue, notamment celui des organismes d’accueil et d’intégration qui remarquent des transformations au sein de l’écosystème de l’immigration en région. Il y a une forte demande qui s’exprime par les acteurs économiques, mais aussi la volonté de bien accueillir les nouveaux arrivants dans des régions qui évoluent sur les questions de l’accueil et de la diversité.

La nouvelle réalité de l’immigration temporaire en région

Depuis quelques années, un nouvel élan transforme le portrait de la présence d’immigrants en région. La tendance à la régionalisation s’accroît avec un solde migratoire en hausse. Selon l’Institut de la statistique québécois, de 2001 à 2021, la proportion de personnes immigrantes choisissant de s’installer à l’extérieur de la RMR de Montréal est passée de 11,7% à 16,4% (ISQ, 2023). Dans le Plan d’action ministériel sur la régionalisation de l’immigration, le gouvernement s’est fixé trois actions prioritaires pour une régionalisation durable, soit encourager les personnes immigrantes à s’établir en région dès l’étranger, améliorer l’attractivité des communautés régionales pour favoriser un établissement durable, et améliorer les programmes ainsi que les services liés à la régionalisation (MIFI, 2023).

Sur le plan de la recherche, il me semble important de considérer la place des migrations temporaires dans les logiques de l’accueil et l’établissement. Il est difficile de les écarter en les considérant seulement de passage. Au contraire, je suis de l’opinion que les migrants temporaires, travailleurs et étudiants, doivent faire partie intégrante des plans d’immigration. Deux angles d’analyse qui permettront de distinguer les facteurs qui favorisent et influencent l’établissement durable des personnes immigrantes temporaires en région et les dynamiques gagnantes qui se développent dans de nombreux territoires du Québec.

Le continuum de l’immigration en région

Ce concept décrit l’ensemble des dimensions qui affectent le parcours migratoire et sur lequel les acteurs du milieu d’accueil peuvent intervenir et exercer un certain degré d’influence sur le succès d’une stratégie de développement en matière d’immigration. Une trajectoire migratoire va donc bénéficier du degré de préparation et de planification de la collectivité, de la mise en place de services d’accompagnement et d’intégration tout au long du continuum de l’immigration, qui se caractérise par plusieurs étapes : promotion, attraction, accompagnement, établissement, intégration, rétention. Par conséquent, il est important de bien connaître les besoins des travailleurs temporaires, ceux et celles qui viennent répondre aux besoins de l’emploi, considérant que celles qui s’installent en région se sont diversifiées ces dernières années et demandent des services adaptés à des besoins spécifiques et changeants dans un contexte de diversification de la diversité. 

L’écosystème de l’immigration en région

Cet axe analyse un ensemble vaste, soit l’environnement de l’immigration en région, c’est-à-dire la structure mise en place pour appuyer les initiatives régionales et locales en matière d’immigration. Le succès de la régionalisation passe par une approche concertée entre un vaste ensemble d’acteurs œuvrant dans différents secteurs et services : employabilité, logement, mobilité et transport, accès aux soins de santé et bien-être, éducations, services culturels, sentiments d’appartenance à la communauté. Plusieurs facteurs font évoluer les paramètres de l’écosystème de la régionalisation au Québec :

• Une augmentation importante des migrations temporaires en région et l’établissement de personnes non-permanentes : travailleurs étrangers temporaires, étudiants étrangers, demandeurs d’asile.

• La mobilisation des acteurs économiques (agences et employeurs) est plus visible dans le portrait de l’immigration en région, considérant les pénuries en emploi et la concertation avec les autres partenaires de la régionalisation est devenue essentielle.

• Le modèle de la communauté accueillante et inclusive permet de développer la collectivité pour accueillir les personnes immigrantes, mettre en place les outils nécessaires à l’établissement durable et développer l’expertise des personnes qui œuvrent dans le domaine.

• L’action des régions du Québec pour attirer et recruter dès l’étranger des personnes immigrantes et les inciter des personnes à s’établir en région – migration primaire ou secondaire (Par ex. les journées du Québec et les missions de promotion et de recrutement à l’étranger que des villes comme Saguenay et Drummondville effectuent en France et dans d’autres pays).

• Les liens entre Montréal et l’écosystème de la régionalisation. Un facteur de succès de la régionalisation se mesure dans la liaison entre des organismes situés en région métropolitaine de Montréal (Par ex. PROMIS, Emplois en région, Place aux jeunes) et les organismes en région.

Dans le but de consolider une approche qui place le nouvel arrivant au cœur d’une communauté qui souhaite offrir un cadre de vie propice à un établissement réussi et durable, il est important de mieux cerner la place de l’immigration temporaire dans le grand portrait de l’immigration au Québec. Le travailleur immigrant ne doit pas être seulement évalué à partir de la réponse à des besoins économiques mais plutôt à ce qu’il ou elle apporte à l’épanouissement de milieux de vie


Chedly Belkhodja
École des affaires publiques et communautaires
Université Concordia