De l'immigration à l'intégration : bâtir Thoots à Trois-Rivières, une histoire de résilience
24 août 2025
Maxime Aké
Quand j’ai quitté la Côte d’Ivoire pour m’installer au Québec, je ne venais pas seulement chercher un diplôme ou de meilleures perspectives professionnelles. Je venais avec une idée : bâtir quelque chose de durable, de porteur de sens. Mais comme beaucoup d’immigrants, j’ai vite réalisé que mes ambitions allaient devoir se frayer un chemin entre les défis de l’adaptation, le choc culturel, et les réalités de l’entrepreneuriat en région.
Arriver avec un rêve… et recommencer à zéro
Je suis arrivé à Trois-Rivières pour entreprendre une maîtrise en mathématiques et informatique à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). La région m’était inconnue, tout comme ses codes, son climat et son rythme de vie. Très vite, il a fallu s’adapter : comprendre les références culturelles, naviguer dans l’administration québécoise, créer de nouveaux repères tout en poursuivant mes études à plein temps.
Mais s’intégrer ne signifie pas simplement « être là ». C’est participer, s’impliquer, tendre la main, et parfois… oser prendre la parole quand ce n’est pas évident. À l’UQTR, j’ai rejoint des associations étudiantes, me suis investi comme mentor, délégué syndical et vice-président d’une association étudiante. C’était ma façon de dire : « Je veux faire partie de cette communauté. »
Cet engagement n’est pas passé inaperçu : j’ai eu l’honneur de recevoir le Prix de l’engagement étudiant, une reconnaissance qui m’a profondément touché et qui m’a encouragé à poursuivre sur cette voie de contribution active à la vie collective.
L’entrepreneuriat comme réponse à un besoin culturel
C’est à travers ce parcours d’immersion que m’est venue l’idée de Thoots. Je constatais qu’en tant que nouvel arrivant, je cherchais un lieu pour découvrir les produits de chez moi, mais aussi ceux des autres cultures présentes au Québec. Un espace de rencontre entre les traditions, les saveurs et les talents. Et je ne le trouvais pas.
Thoots est né de cette frustration, mais surtout de cette vision : créer une plateforme de e-commerce dédiée à la découverte culturelle, où les créateurs, producteurs et artisans, qu’ils soient issus de la diversité ou enracinés ici depuis toujours, peuvent proposer leurs produits authentiques à un public curieux et ouvert.
Je n’avais ni fonds de départ, ni équipe, ni certitudes. J’avais une idée, une passion pour la technologie, et une immense envie de bâtir un projet utile.
Les défis spécifiques d’un entrepreneur immigrant… en région
Lancer une entreprise à Montréal ou à Québec, c’est une chose. Le faire à Trois-Rivières en tant qu’immigrant, c’en est une autre. Le premier défi, c’est la crédibilité. Lorsqu’on est perçu comme un “nouvel arrivant”, on doit souvent faire deux fois plus pour prouver la valeur de son idée. Le deuxième défi, c’est l’isolement : il est parfois difficile de trouver des partenaires, des clients ou des investisseurs qui partagent la même vision dans un environnement moins densément peuplé.
Mais j’ai refusé de me laisser freiner par ces barrières. J’ai cherché les programmes d’accompagnement. J’ai frappé à des portes, même si certaines ne s’ouvraient pas. J’ai appris à adapter mon discours, à m’ancrer dans la réalité régionale tout en restant fidèle à ma mission : faire rayonner les produits du terroir et d’arts en alliant numérisation et découverte culturelle.
Trouver des alliés, créer des ponts
Mon parcours a croisé celui d’organismes comme Agoralliance, Économie du Savoir Mauricie, Groupe 3737, Futurpreneur, qui ont su voir le potentiel de Thoots et m’offrir du mentorat, des ressources, et surtout de l’écoute. Grâce à eux, j’ai compris que mon histoire, loin d’être un frein, pouvait devenir un levier. Oui, j’étais un entrepreneur immigrant. Mais j’étais aussi un acteur du changement, un bâtisseur d’écosystèmes, un innovateur enraciné ici.
J’ai aussi appris à valoriser mes forces : ma capacité à naviguer entre les cultures, à comprendre les besoins de clientèles diverses, à créer du lien là où il n’y avait encore que de la distance.
Une intégration par l’engagement
Thoots, ce n’est pas juste un site de vente en ligne. C’est une vision du vivre-ensemble, une manière de faire découvrir le Québec et le Canada à travers les produits des uns et des autres. C’est aussi une réponse concrète aux enjeux d’intégration économique des entrepreneurs issus de l’immigration. En les aidant à se rendre visibles, à vendre, à raconter leur histoire, on contribue à bâtir une société plus inclusive.
En parallèle, j’ai poursuivi mon implication locale : participation à des brunchs-bénéfice (comme celui de Moisson Mauricie / Centre-du-Québec) et partenariats avec des organismes culturels. J’ai également eu l’occasion de partager mon expérience dans des balados tels que Au-delà du diplôme de l’UQTR ou Canada ouvre-toi de Movela Immigration Services, afin de sensibiliser, inspirer et encourager celles et ceux qui suivent un parcours similaire. Je voulais montrer qu’on pouvait s’intégrer non pas en s’effaçant, mais en contribuant activement, en prenant la parole et en bâtissant des ponts.
Regard sur le chemin parcouru
Aujourd’hui, Thoots est en phase de lancement, et la route est encore longue. Mais je mesure le chemin parcouru. J’ai appris à faire confiance à mes idées, à demander de l’aide sans gêne, à célébrer chaque petite victoire. Déjà, une quinzaine de marchands de produits du terroir et d’arts ont rejoint la plateforme, marquant un premier pas vers la concrétisation de cette vision. J’ai découvert une communauté riche, prête à accueillir ceux qui osent s’investir avec sincérité.
Si je devais résumer cette aventure, je dirais que l’intégration n’est pas un état, c’est un processus. Un processus fait d’écoute, d’efforts mutuels, de rencontres. Être entrepreneur immigrant, ce n’est pas avoir deux fois moins de chances : c’est avoir deux cultures en soi, deux mondes à relier, et le pouvoir de créer des ponts durables.