Page chargée

Section spéciale

De la capacité d’accueil, à la capacité d’agir

21 mai 2023

Yannick Boucher

Le changement n'est pas seulement nécessaire à la vie, il est la vie. Et, par conséquent, vivre c'est s'adapter.

-

Alvin Toffler

Le nombre record de demandeurs d’asile et de statut temporaire sur le territoire ces dernières années est venu raviver la grande question : avons-nous la capacité d’accueillir tous ces gens? Lorsque l’on fait référence à la capacité d’accueil à quoi faisons-nous référence? Tout comme la notion d’intégration, la capacité d’accueil à plusieurs facettes : matérielle, culturel, identitaire, sociale, économique. Elle peut également être imputée à un individu, un groupe, une organisation, ou un territoire. Mais de quoi parlons-nous au juste?


D’un point de vue organisationnel, un bon gestionnaire mettra en place des outils pour bien évaluer la capacité de son organisation, qui aura un impact sur ses décisions stratégiques et l’accessibilité des services. Ainsi, il est possible (et même souhaitable) d’évaluer la capacité d’une infrastructure (transport, logement), d’un service (garderies, écoles, hôpitaux), toutefois lorsqu’on étend le calcul à un territoire, à un groupe ou même une personne, l’exercice devient beaucoup plus périlleux.


Cette manie de se concentrer à colmater la frontière sous prétexte que notre capacité d’accueil est atteinte cache un problème beaucoup plus profond, celui de la crise des États-nations face aux défis des mobilités contemporaines. Rappelons que le Canada n’accueille que 5% des réfugiés à travers le monde. En 2022, les pays à revenu faible et intermédiaire ont accueilli 83 % des réfugiés déplacés à l'étranger dans le monde; par exemple : la Turquie, la Colombie, l’Ouganda, le Pakistan[1]. Ces pays ont-ils une plus grande capacité d’accueil que le Canada, ou ont-ils un rapport différent à l’hospitalité?


La diversification des pays de provenance de l’immigration depuis les dernières décennies et son impact sur les redéfinitions identitaires au Québec, accompagnés en toile de fond de deux échecs référendaires, provoque beaucoup d’incertitude et d’insécurité chez certaines personnes du groupe majoritaire (et se pensant comme minoritaire à l’échelle de l’Amérique du Nord). Cette peur de perdre (sa langue, sa culture), peur du changement et de l’inconnu est Humain, et doit être prise en compte dans notre rapport à l’Autre. Cette peur est tout à fait légitime d’un point de vue psychosocial, toutefois, elle encourage une posture défensive et de protection qui ne favorise pas la rencontre.

En fait, vous aurez compris que la capacité d’accueil n’est pas un chiffre objectif et immuable, elle dépend grandement de notre capacité à s’adapter et à agir. La question n’est plus de savoir si nous avons la capacité d’accueillir tous ces gens, mais plutôt, avons-nous collectivement les moyens de nos ambitions, le potentiel de faire ensemble, de nous développer dans un contexte de changement qui nous insécurise ?

D’un point de vue territorial, l’évaluation de la capacité d’agir consiste essentiellement à analyser ses ressources, ses atouts, ses contraintes et ses faiblesses en termes de financement, de mobilisation et de développement (économique, social, environnemental et culturel). Elle permet de déterminer les leviers d’action et les stratégies à mettre en place pour renforcer les potentiels du territoire et répondre aux besoins et aux attentes des citoyens. Il peut s'agir de la mise en place de projets de développement économique, de la promotion du tourisme, de l'amélioration des infrastructures, de la préservation de l'environnement, etc.


L’erreur ici serait d’exclure d’emblée les personnes immigrantes de cette équation. L’immigration est un puissant levier de développement régional pour le Québec. Les nouveaux arrivants apportent de nouvelles compétences et de nouvelles perspectives qui peuvent aider les régions à se diversifier économiquement, à stimuler la croissance et à revitaliser les communautés locales. Cependant, pour maximiser l'impact de l'immigration sur le développement régional, il est crucial que tous les acteurs travaillent ensemble pour créer un environnement accueillant et inclusif qui favorise la diversité culturelle et la croissance économique.

La capacité de travailler ensemble sans vouloir gommer les différences est un processus graduel qui demande du temps, un processus souvent inconfortable, mais qui permet de développer notre capacité à s’ouvrir à la différence, de s’ouvrir à l’Autre. Une capacité à évaluer qualitativement à travers le degré d’interculturalité plutôt qu’au travers de chiffres vides de sens. Introduire la notion de capacité d’agir (plutôt que de capacité d’accueil), c’est donc mobiliser les potentialités humaines (les ressources et compétences) qui stimulent l’engagement et une responsabilité partagée; et qui redonne du pouvoir aux collectivités, à développer dans le sens de l’expérience positive de nouveaux arrivants, et qui influence le sentiment d’appartenance et de bien-être, indicateurs essentiels pour un établissement durable. C’est dire combien la réceptivité sociale de la collectivité locale, favorisée notamment pas la reconnaissance de la contribution des immigrants à la société, devient un acteur à part entière dans l’adaptation et la capacité d’agir de nos collectivités.

Finalement, parler de capacité d’adaptation et d’action s’avère positif et permet aux collectivités d’aller de l’avant, plutôt que la notion de capacité d’accueil qui nourrit davantage l’insécurité et la peur de perdre sa langue, sa culture et contribue au repli sur soi. Une culture trop souvent imaginée comme fixe et définie à l’intérieur de frontières imperméables aux éléments extérieurs. La personne immigrante qui choisit le Québec nous demande de penser autrement la place de chacun et chacune dans le monde que nous vivons. Gille Vigneault nous dit dans sa chanson « Les gens de mon pays » : De mon grand pays solitaire / Je crie avant que de me taire / À tous les hommes de la terre / Ma maison c'est votre maison / Entre mes quatre murs de glace / Je mets mon temps et mon espace / À préparer le feu, la place / Pour les humains de l'horizon / Et les humains sont de ma race. Si nous voulons avoir les moyens de nos ambitions, il nous faut repenser notre rapport à l’hospitalité. Arrêtons de parler de capacité d’accueil et donnons-nous la capacité d’agir.



[1] Source: Tendances mondiales 2021 du HCR, 16 juin 2022