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Intégration économique

Une poutinerie de renom passe aux mains d'un couple béninois à Rouyn-Noranda

08 mars 2023

Stella Coïca

Chez Morasse est un restaurant typiquement québécois, qui sert une multitude de sortes de poutine et de pizza. Il est situé à Rouyn-Noranda, une petite ville minière du nord-ouest du Québec. L'histoire du casse-croûte commence en 1969 quand Conrad Morasse ouvre un petit stand de frites. Quelques décennies plus tard, Christian Morasse et sa fille, Florence, faisaient partie de la troisième génération aux commandes de Chez Morasse. En début de 2022, M. Morasse qui approchait de la retraite, était un peu fatigué et voulait passer à autre chose. Ils ont donc songé à mettre le restaurant en vente. Ensuite, il y a eu la pandémie et le restaurant a beaucoup souffert, comme plusieurs autres restaurants d'ailleurs.

Le vent a changé et pour le mieux ! L'été passé ce petit bijou change de propriétaires pour un air nouveau et passe dans les mains de Carlos Sodji et Sylvaine Senou, deux jeunes africains originaires du Bénin très ambitieux et très courageux. Comment sont-ils arrivés là ? À son arrivée à Rouyn Noranda comme étudiant en génie, M. Sodji avait eu plusieurs emplois et entre autres, il a travaillé comme livreur Chez Morasse. Donc, une relation de confiance s’est développée avec le temps entre M. Carlos Sodji et les anciens propriétaires du restaurant.

Les débuts de l'histoire d'amour

M. Sodji et sa femme Mme Silvaine Senou se sont rencontré en 2014 lors d'un voyage au Bénin. Elle vivait en France à ce moment-là et elle aussi était en voyage au Bénin. M. Sodji l'a invité à l'accompagner au Canada et elle a accepté. Ça fait maintenant 7 ans qu'ils demeurent à Rouyn-Noranda et ils forment une belle petite famille avec leurs deux jeunes enfants.

En arrivant ici, Mme Senou cherchait ses repères. Elle voulait faire quelque chose qui lui plaisait, avoir un projet en lien avec la cuisine qui est sa passion depuis longtemps. Elle disait, c’est soit la cuisine, soit ce n’est rien du tout ! Quand l'idée de ce projet est apparue, ils ont tout de suite embarqué. Lui provenait d'une famille de commerçants et elle était excellente en cuisine. C'est un match parfait !

Au moment de l'annonce, M. Sodji a fait savoir à M. Morasse qu'ils étaient intéressés à acheter ce restaurant. Selon lui, il y avait encore 3 ou 4 acheteurs qui se sont manifestés. Après réflexion, M. Morasse a choisi le couple africain, parce qu'il a vu l'étincelle dans leurs yeux. Il voulait transmettre à la communauté cet esprit familial construit depuis autant d'années.

Le processus de repreneuriat

L'acquisition du restaurant s'est fait en intervalle de 6 mois environ, pendant l'été 2022 après la pandémie. Le couple avait leurs propres économies, ce qui les a grandement aidés. L'ancien propriétaire leur a proposé l'autofinancement pour l’autre partie restant à financer. Ils ont décidé de garder fièrement le nom Chez Morasse, qui fait partie de l'ADN de ce restaurant. Ça n'a jamais été question de changement, disait M. Sodji.

À la base, M. Sodji voulait que l'ancien propriétaire, M. Morasse, continue d'être le visage de l'entreprise pour un moment, même si sur papiers ils allaient être propriétaires. Ils ne savaient pas comment les gens prendraient la nouvelle et ils avaient un peu peur de cette nouvelle réalité. Mais l'ancien propriétaire a dit: « Vous devez prendre les devants et assumer ce rôle, c'est vous les propriétaires désormais ! » Ils ont gardé les recettes, le nom, le numéro de l'entreprise, tout en fait. Le processus d'achat d'entreprise est sûrement très différent au Bénin, mais le jeune couple a été très bien accompagné. Ils ont collaboré étroitement avec les notaires qui ont officialisé la transaction et M. Morasse a toujours été présent pour les guider et les encourager.

Malgré les craintes du couple africain, la nouvelle a été très bien accueillie au sein des habitants de la ville. Depuis l'ouverture, ils ont eu plusieurs sorties médiatiques, émissions à la radio, articles dans les journaux. Les gens ont eu une très bonne réaction, disait M. Sodji, ils sont contents. Même quand la petite famille passe dans la rue, les gens leur disent toujours bravo, ils ont toujours des messages positifs. Après quelques mois, les nouveaux propriétaires constatent que les chiffres sont en hausse et comme dits, M. Sodji, même M. Morasse ne le croit pas !

Le secret d'une recette gagnante !

Il y a quelques années, ils ne connaissaient rien de la poutine et aujourd'hui ils dirigent fièrement ce beau restaurant qui fait déjà des vagues dans les environs et sur internet. Pourquoi leurs poutines sont aussi bonnes? En fait, il y a une excellente explication à tout cela. Les patates sont frites dans du saindoux, une rareté de nos jours. Pas question d'huile végétale, dit M. Sodji. Ils n'ont rien changé aux recettes originales qui ont déjà fait leurs preuves. Ça donne plus de goût et ça fait partie de l'essence de leurs poutines. Pourquoi changer ce qui fonctionne très bien ?

M. Sodji se souvient avec sourire aux lèvres de leur premier jour de travail. C'était très difficile ! Ils voulaient tout faire en même temps et ils voulaient comprendre tout le travail qui était derrière cette machine. Mais après plusieurs journées bien remplies et quelques nuits blanches, ils ont décidé de séparer le travail. Mme Senou est désormais cheffe de la cuisine et M. Sodji a pris en charge tout le côté administratif. Il fait aussi beaucoup de livraisons. Avec le contexte actuel de main-d'œuvre, ils n'ont pas le choix de tout apprendre ensemble pour remplacer les employés qui ne rentrent pas travailler. Ça arrive très souvent. Actuellement, ils ont 35 employés et ils en ont besoin d'une dizaine de plus pour arriver à fournir selon la demande.

Même avec ce train-train quotidien, le jeune couple se dit très heureux de vivre dans leur belle ville où ils se sentent maintenant chez eux. Par le fait même, ils contribuent à cette magnifique communauté multiculturelle. De nouveaux immigrants venant de l'Afrique, du Maghreb ou d'Europe y arrivent tous les mois et M. Sodji se dit fièrement content de leur faire goûter pour la première fois ce plat authentique et traditionnel du Québec, qui est la poutine.

Derrière ce beau projet qu'ont entrepris M. Carlos Sodji et Mme Sylvaine Senou, on voit énormément de travail, beaucoup d'apprentissages grâce aux erreurs faites en cours de route, mais surtout énormément de courage !