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Intégration sociale

Les défis à l'établissement des personnes immigrantes en région

06 juin 2022

Benoît Malric

La régionalisation de l’immigration étant une priorité récente dans l’histoire de la société québécoise, il existe encore de nombreux aspects méconnus sur les défis que peuvent vivre les nouveaux arrivants faisant le choix de s’établir en dehors de la région métropolitaine de Montréal. Il est aussi fréquent d’entendre dans les médias des généralités et des préjugés concernant ce processus d’intégration qui ne traduisent pas nécessairement l’expérience vécue sur le terrain.

Bien que l’immigration ne représente pas un bloc homogène, il nous apparaît utile dans ce premier numéro de jeter les bases d’une compréhension commune des grandes difficultés que peuvent vivre ces personnes afin de favoriser l’émergence de solutions adaptées à la réalité des communautés locales. Nous aborderons ce sujet à partir de nos échanges avec des intervenants spécialisés dans ce domaine et sous deux angles, celui des défis structurels et celui des défis relationnels. Les défis identifiés ne sont pas nécessairement spécifiques à la régionalisation de l'immigration puisque ceux-ci peuvent se vivre aussi à Montréal, mais ces défis peuvent être vécus différemment en région, particulièrement dans les milieux ruraux.

Les défis structurels

1. L’accès au logement abordable

L’accès au logement et particulièrement aux logements abordables demeure un frein à l’augmentation de la présence de l’immigration en région. La nouvelle réalité liée au télétravail et à la Covid-19 a fait augmenter de façon considérable la migration des Montréalais vers les régions alors que la métropole enregistrait en 2020-2021 une perte migratoire nette de 48 300 personnes[1].Ce mouvement a entraîné à la fois une diminution de la disponibilité des habitations locatives et une augmentation du prix des loyers.

Parallèlement, on constate que les projets de construction domiciliaires favorisent davantage les immeubles en copropriété. Bien que cette tendance ajoute un nombre important de résidences dans les municipalités, l’accès à celles-ci peut être plus complexe pour un nouvel arrivant venant de commencer un emploi et n’ayant pas d’historique de crédit au Québec.

Outre la dégradation du parc locatif, les personnes immigrantes vivent aussi des difficultés liées à leur situation. C’est notamment ce que mentionne Asma Hassane, conseillère en régionalisation d’Emplois en régions chez Alpa, concernant son expérience d’accompagnement des nouveaux arrivants dans la recherche d’un logis. Elle explique que les personnes immigrantes ne connaissent pas nécessairement les pratiques relatives à la recherche d’un logement au Québec. Par exemple, elles peuvent avoir de la difficulté à trouver les endroits où s’informer sur les logements disponibles ou peuvent ne pas comprendre certains détails des affichages.

Elle ajoute aussi qu’il faut sensibiliser les propriétaires des immeubles locatifs afin de briser certains préjugés que peuvent entretenir ceux-ci vis-à-vis de certaines communautés culturelles particulièrement en ce qui a trait à la salubrité des lieux. Elle ne cache cependant pas que les nouveaux arrivants doivent apprendre certaines pratiques locales d’entretien ménager puisque les habitations ne sont pas nécessairement construites avec les mêmes matériaux en raison du climat.

2. L’autonomie des déplacements sur le territoire

On vante souvent les grands espaces lorsqu’on parle de la régionalisation de l’immigration. Cet avantage vient aussi avec sa contrepartie, soit la nécessité de se déplacer par ses propres moyens dans la localité afin de demeurer autonome. En effet, contrairement à Montréal où le transport en commun est largement déployé, peu de municipalités au Québec possèdent une offre de service adéquate qui tient compte des besoins des résidents ne possédant pas encore de permis de conduire ni de voiture. La communauté locale s’étant habituée à cette réalité, la demande pour le transport en commun demeure plutôt faible, ce qui ne crée pas le contexte favorable à son développement.

Parmi les défis spécifiques mentionnés concernant cette situation, les déplacements entre le lieu de résidence et le travail semblent être plus problématiques pour les emplois situés dans un parc industriel ou en dehors des zones densément peuplées. Guillaume Boivin, directeur de l’organisme le Tremplin à Lévis, souligne que les entreprises sont de plus en plus conscientes de cette problématique et que certaines ont mis en place un service de navette pour leurs employés afin d’y remédier.

Les difficultés liées au déplacement vers le lieu de travail ne sont pas le seul impact négatif du manque de disponibilité du transport en commun. Cette situation peut aussi limiter l’accès des nouveaux arrivants aux soins de santé, aux activités locales et aux services spécialisés, ce qui peut contribuer davantage à leur isolement et constituer un risque à prendre en considération avant de s’établir en région.

3. Le manque de places en garderie

L’immigration est souvent associée à une réponse démographique à l’enjeu de dénatalité du Québec, ce qui signifie que les jeunes et les familles ayant des enfants en bas âge obtiennent davantage de points sur la grille de sélection du gouvernement québécois. Cet accent mis sur les jeunes familles entraîne un autre défi structurel, soit celui du manque de places en garderie. En effet, il n’est pas rare qu’une personne immigrante refuse un emploi en région parce qu’elle n'arrive pas à trouver un endroit où faire garder ses enfants pendant qu’elle sera au travail. Les délais d’attente dans certaines régions sont tels qu’il faudrait prévoir près d’un an à l’avance l’établissement en région afin de réserver une place dans une garderie.

Les défis relationnels

1. Le choc culturel : s’adapter aux pratiques locales

Lorsqu’on réfléchit à un projet d’immigration ou de régionalisation, la tendance est souvent de donner un poids plus important aux aspects positifs et par la même occasion de minimiser les obstacles anticipés et les angles morts possibles. Il est donc fréquent qu’il y ait un écart entre ce qu’on avait imaginé et la réalité. C’est ce qu’on appelle le choc culturel. Nous occulterons volontairement les défis reliés à l’apprentissage de la langue dans cette section afin de nous concentrer sur les modes de fonctionnement.

Il existe une différence notable entre les États concernant le fonctionnement des mécanismes institutionnels. Au Québec, les relations entre un citoyen et les institutions ont tendance à être normalisées et se déroulent dans un cadre très formel. Il peut être complexe pour une personne venant d’arriver sur le territoire de comprendre les raisons derrière les procédures administratives et donc de s’y conformer. Par ailleurs, les habitants locaux non avertis peuvent ne pas comprendre l’origine des résistances vécues avec une personne provenant de l’immigration concernant une simple formalité. Michael Sandapen, coordonnateur chez Attraction Nord, souligne que ce manque de repères peut entraîner le développement d’un sentiment d’infériorité chez les nouveaux arrivants vis-à-vis de la population locale et mener vers leur isolement. Il ajoute, par exemple, que dans certains cas le manque de connaissances sur le fonctionnement du crédit peut avoir de lourdes conséquences à long terme pour les ménages.

Paradoxalement, les relations hiérarchiques au sein de la société québécoise ont tendance à être moins prononcées comparativement à ailleurs dans le monde. Par exemple, il n’est pas rare au Québec qu’un employé contredise son patron ou lui propose des améliorations de son contexte de travail. Ce comportement est souvent perçu, lorsqu’il est bien dirigé, comme une qualité associée au sens de l’initiative et à l’implication de l’employé alors que dans certaines cultures, ce même comportement constituerait une transgression hiérarchique. Vous comprendrez que dans ce contexte, il peut être difficile pour une personne immigrante de s’adapter aux pratiques locales tout en transformant son cadre de référence sur ce qui est socialement accepté et ce qui ne l’est pas. C’est pourquoi M. Sandapen suggère aux gens en situation hiérarchique de demander aux employés provenant d’une autre culture de résumer dans leurs propres mots les consignes plutôt que de demander s’ils les ont comprises afin d’éviter d’être confrontés à un filtre culturel de politesse.

2. L’intégration sociale

Les études sur le phénomène de la régionalisation de l’immigration le démontrent, la principale raison pour laquelle les personnes immigrantes et leur famille choisissent de quitter une région est souvent liée à leur isolement social.

Cette problématique se vit en deux temps. Tout d’abord, la personne immigrante doit faire le deuil des amitiés et du réseau qu’elle laisse derrière elle. Ce deuil peut prendre un certain temps à se manifester en raison de l’effervescence entourant son installation. Fanny Lessard, agente d’intégration et de sensibilisation en immigration au Carrefour jeunesse-emploi de Beauce-Sud, explique que les personnes immigrantes ont tendance à vivre une lune de miel dans les premiers moments de leur établissement, mais qu’une fois disparu, le sentiment de nouveauté laisse place à la nostalgie du pays et des relations d’amitié qui s’y trouvent. Ce sentiment peut être plus ou moins important et d’une durée plus ou moins longue selon le cheminement de chacun.

Ensuite, ce sentiment peut refaire surface lorsque la personne est confrontée à la difficulté d’intégrer un nouveau cercle social. En effet, la majorité des amitiés se développent durant l’enfance. À l’âge adulte, il peut être plus complexe de trouver des façons de briser la glace avec les autres dans le but de créer un lien amical. La peur du rejet et les incompréhensions des modes d’interaction peuvent avoir comme impact un repli sur soi-même et un doute sur sa capacité à surmonter ce défi. Mme Lessard donne à titre d’exemple qu’au Québec, deux personnes peuvent se considérer comme amis sans nécessairement se côtoyer en dehors du cadre de leurs interactions habituelles comme d’un sport ou d’un loisir. Elle ajoute qu’il existe une sorte de barrière entre la vie sociale et la vie intime qui n’est pas nécessairement présente dans d’autres cultures.

3. Le sentiment d’appartenance à la communauté

La situation d’immigration ou de régionalisation n’est pas éternelle. Il arrive un moment dans le processus d’intégration où la personne possède une compréhension suffisante des pratiques locales pour y adhérer et les appliquer. À ce moment, elle ne se considérera plus selon son statut de migration, mais bien selon son appartenance à la communauté.

Pour y parvenir, les personnes immigrantes vivent certains « rites de passage » non officiels. Par exemple, les personnes issues de minorités visibles sont souvent confrontées à la curiosité des gens locaux. Une personne non avisée pourrait confondre les regards et les questions répétées avec des actes de discrimination alors qu’ils sont pour la plupart une démonstration d’intérêt de la communauté d’accueil.

C’est cette compréhension des codes sociaux locaux qui fait souvent défaut aux personnes immigrantes. Comme elles n’ont pas la bonne clé pour décoder l’interaction, leur interprétation peut provoquer certains préjugés ou certaines appréhensions puis influencer leur réaction.

Paul-Antoine Martel, conseiller en relation avec les milieux à la Ville de Val-d’Or, souligne que le plus important pour favoriser le développement du sentiment d’appartenance d’une personne immigrante à sa localité est de contribuer à la création de liens de confiance entre les nouveaux arrivants et la population locale. Pour y parvenir, il suggère aux intervenants de proposer aux personnes immigrantes des occasions d’implication ou d’initiation à certaines activités locales tout en les jumelant avec un membre de la communauté qui est sensibilisé à leur situation. L’activité devient donc un contexte à l’interaction et l’accompagnateur agit comme un traducteur des pratiques locales. Il explique que bien souvent les nouveaux arrivants ne connaissent pas la place qu’ils peuvent occuper sur le plan social. L’attribution d’un rôle spécifique est une façon de leur démontrer que la communauté souhaite leur faire une place. C’est aussi une occasion de leur souligner qu’ils sont les bienvenus et qu’on les encourage à participer à la vie sociale s’ils en ressentent l’intérêt.



[1] Institut de la statistique du Québec, 2022